Parents : pourquoi ne pas accéder aux réseaux sociaux de son enfant ?

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Un écran d’ordinateur, c’est parfois un mur. Invisible, mais bien réel. Entre parents et enfants, ce mur s’appelle réseau social, et il s’élève souvent sans prévenir. Que faire alors, quand la tentation de franchir cette frontière numérique se fait pressante ? Faut-il forcer la serrure du jardin secret en ligne de son enfant, au risque de tout bousculer ?

L’irrésistible envie de surveiller, de s’immiscer dans les coulisses de ce profil verrouillé, dépasse la simple vigilance. Chaque tentative d’intrusion soulève un conflit intérieur : faut-il tout voir pour protéger, ou faire un pas de côté et faire confiance, quitte à manquer un signal d’alerte dissimulé derrière un pseudo ? Cette frontière, mouvante, oblige à repenser la relation parent-enfant à l’ère du numérique.

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Comprendre la place des réseaux sociaux dans la vie des enfants

Les réseaux sociaux ne sont plus un simple passe-temps pour les enfants et les adolescents : ils sont devenus le nouveau terrain de jeu, la cour de récréation virtuelle où l’on se construit, s’exprime et tisse des liens. La génération Z et la génération Alpha vivent avec un smartphone greffé à la main, et selon le Credoc (2023), 87 % des 12-17 ans fréquentent quotidiennement au moins un réseau social. Instagram, Snapchat, TikTok, YouTube : ces plateformes sont les nouvelles scènes où l’on façonne son identité, partage ses passions, cultive ses amitiés.

L’utilisation des réseaux sociaux répond à des besoins multiples :

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  • Maintenir les liens en dehors de l’école, poursuivre la conversation là où la sonnerie s’est arrêtée ;
  • Partager ce qui fait vibrer, créer, montrer ce que l’on sait faire ;
  • Se chercher, explorer différentes versions de soi-même ;
  • Consommer de l’information, suivre les actualités ou s’intéresser à des sujets parfois délicats.

Cette socialisation numérique impose de nouveaux codes : tout va plus vite, l’image prime, la pression des pairs et des influenceurs s’accentue. Les enfants apprennent à protéger leur réputation, à manipuler les réglages de confidentialité, à décider ce qui mérite d’être publié. TikTok attire par sa créativité débridée, Instagram par le culte de l’image léchée, Snapchat par la promesse de l’instantanéité et du secret éphémère.

Ce n’est donc pas un simple divertissement : s’approprier les réseaux sociaux participe à l’apprentissage de l’autonomie, tout en exposant à de nouveaux dangers. Leur omniprésence force les adultes à réinventer leur rôle : ni gendarmes, ni spectateurs, mais guides attentifs, prêts à écouter sans franchir la ligne rouge de l’intrusion.

Faut-il surveiller ou respecter l’intimité numérique de son enfant ?

Pour les parents, l’équation se complique dès qu’il s’agit d’accéder au contenu privé de leur enfant sur les réseaux sociaux. Entre autorité parentale et respect de la vie privée, l’équilibre est fragile et la loi ne laisse pas tout faire. En France, deux textes récents – loi du 7 juillet 2023 et loi du 19 février 2024 – rappellent que la responsabilité parentale s’exerce aussi en ligne : surveiller, oui, mais sans mépriser le droit à l’image ni la vie privée des enfants.

La CNIL est catégorique : fouiller systématiquement dans les messages privés ou les comptes d’un mineur de plus de 13 ans, ce n’est pas justifié, ni conforme au RGPD. Le consentement devient la clé. L’avocate Laura Morin, à Paris, le martèle : « Les parents doivent privilégier le dialogue et l’accompagnement, plutôt que la surveillance intrusive. »

  • Sharenting : publier à tout-va des photos de son enfant expose à des détournements d’image et à des dérives difficilement contrôlables.
  • Mettre une photo en ligne sans l’accord de l’enfant – même quand on est parent – peut entraîner des conséquences juridiques, civiles et pénales.

Le message du législateur est clair : la parentalité éducation numérique s’appuie sur la pédagogie et le dialogue, pas sur la fouille des téléphones. Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance, résume : « La confiance se construit en amont, par le dialogue, non par la confiscation des codes d’accès. » La France, souvent en avance sur le droit à l’image des enfants, invite à inventer ce fragile équilibre : protéger, oui, mais sans piétiner la sphère privée ni infantiliser.

Entre confiance et contrôle : les risques d’un accès parental direct

Mettre la main directement sur les réseaux sociaux de son enfant, c’est ouvrir la porte à des effets secondaires. Vouloir tout contrôler pour protéger, c’est parfois casser la confiance et pousser l’enfant à ruser, voire à se cacher. La psychologue Coralie Vincens, du centre hospitalier Henri Laborit, l’observe régulièrement : « L’enfant, privé de marge d’autonomie, développe des stratégies d’évitement. »

Dans leur pratique, les équipes du centre hospitalier Henri Laborit voient remonter plusieurs conséquences concrètes :

  • Atteinte à la vie privée : l’enfant, sous surveillance permanente, peine à construire son identité numérique sereinement ;
  • Risque de contournement : l’adolescent crée des comptes secrets ou migre vers des plateformes moins connues de ses parents ;
  • Vulnérabilité au cyberharcèlement : sans dialogue, la victime n’ose plus alerter, de peur d’être sanctionnée ou incomprise.

Samuel Comblez, directeur des opérations à e-Enfance, tempère : « L’accompagnement, plus que l’intrusion, permet à l’enfant d’identifier les situations de harcèlement, d’exposition à des contenus inadaptés voire à la pédopornographie et de solliciter l’adulte en confiance. »

Un contrôle parental systématique nourrit la défiance et peut même aggraver l’addiction : privé d’espace à lui, l’enfant se réfugie dans la clandestinité numérique, parfois jusque dans les recoins sombres du darknet.

contrôle parental

Accompagner son enfant vers l’autonomie et la responsabilité en ligne

Le défi n’est pas de tout interdire, ni de tout surveiller. Il s’agit d’accompagner, d’armer chaque enfant pour qu’il devienne un acteur responsable de sa vie numérique. Les rapports de l’Unicef et de l’agence australienne eSafety insistent : c’est le dialogue qui protège, pas la confiscation du téléphone.

Katie Maskiell, experte des comportements numériques des adolescents, insiste sur l’urgence d’aborder la santé mentale face à l’avalanche d’images retouchées et à la pression sociale sur TikTok ou Instagram, dès l’entrée au collège. Développer une estime de soi solide, c’est aussi se prémunir contre les contenus toxiques, la sédentarité ou les troubles du comportement alimentaire.

  • Discutez avec votre enfant de la frontière entre vie publique et vie privée sur les réseaux sociaux.
  • Analysez ensemble les filtres et les images retouchées pour décoder ce qui est vrai, ce qui est fabriqué.
  • Encouragez son esprit critique face à la viralité et à la publicité en ligne.

À travers le monde, une tendance se dessine : le soutien parental, bien plus que la surveillance, devient le pilier d’une expérience numérique équilibrée. Au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, les campagnes publiques n’appellent pas à la suspicion, mais à l’information et à l’écoute. Pour la génération Z comme pour la génération Alpha, l’avenir numérique s’écrit à deux voix : celle de l’enfant, et celle du parent, côte à côte devant l’écran. Qui sait, peut-être que la véritable clé, ce n’est pas le mot de passe, mais la confiance.